Enquête : Quelle place pour la nature dans la vie quotidienne des Français ?

Selon leur lieu d'habitation, tous les Français n'ont pas le même accès aux milieux naturels. Ici, le village du Truel sur les bords des gorges de la Jonte, dans le Parc national des Cévennes. Photo : Arnaud Bouissou/Terra
Texte : Éric Pautard, sociologue au ministère de la Transition écologique, chargé de mission Société et environnement au sein du Service des données et études statistiques du Commissariat général au développement durable

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 326, janvier-février 2021

Quelle place la nature occupe-t-elle dans l’imaginaire collectif et dans les préoccupations sociales des Français ? Pour répondre à cette question, le service statistique du ministère de la Transition écologique a conduit une vaste enquête auprès d’un échantillon représentatif de 4 553 personnes âgées de 16 ans et plus. Parus en octobre 2020, les premiers résultats indiquent que la relation des Français à la nature varie très nettement selon leur lieu de résidence, leur âge ou leur niveau d’études. [1]

Sans surprise, la fréquentation de la nature est d’abord liée à sa proximité : en milieu rural, 55 % des enquêtés s’y rendent quotidiennement, contre 23 % dans l’agglomération parisienne. Cette relation directe avec la nature se révèle par ailleurs assujettie au niveau d’appréhension exprimé par les enquêtés. Plus marquées chez les enquêtés urbains, les craintes à l’égard de certaines espèces (tiques, serpents, plantes allergènes) les dissuadent de fréquenter les milieux naturels où elles pourraient se trouver (forêt, montagne, prairie). À proximité de leur domicile, les Français n’ont pas tous la possibilité d’observer une biodiversité faunistique importante. En moyenne, seuls 9 % des métropolitains jugent qu’ils ont l’opportunité d’observer une très grande variété d’animaux, tandis que 15 % estiment ne pas avoir cette possibilité.

La tendance s’inverse chez les personnes vivant dans des aires naturelles protégées : 20 % d’entre elles disent avoir une très forte opportunité d’observer une grande diversité d’espèces. Étonnamment, 41 % des enquêtés résidant dans les départements d’Outre-mer déclarent n’observer qu’une très faible diversité faunistique près de chez eux.

Entre inquiétude et optimisme

Alors qu’ils jugent sévèrement l’état de l’environnement au niveau mondial et national, les Français portent un regard plutôt positif sur la situation près de chez eux. Toutefois, les habitants des grandes agglomérations sont cinq fois plus nombreux qu’en milieu rural à juger que l’environnement est en mauvais état dans leur commune. Par ailleurs, les Français s’accordent à considérer que la situation de l’ensemble des milieux naturels s’est détériorée au cours des dix dernières années à l’échelle nationale. On observe cependant que les enquêtés qui entretiennent un lien étroit avec la nature sont souvent moins critiques que la moyenne des Français. En revanche, ils sont plus nombreux à considérer que l’érosion de la biodiversité a d’ores et déjà des conséquences dans leur vie quotidienne. Si une grande majorité des Français déclare qu’il est « encore temps d’agir pour préserver la nature », une personne interrogée sur cinq pense a contrario qu’il est « déjà trop tard ». Au premier rang des mesures à prendre pour protéger la nature en France, les enquêtés se prononcent en faveur du renforcement des sanctions (notamment financières) à l’encontre des activités qui nuisent à la nature. Dans une moindre mesure, ils jugent également nécessaire de remettre de la nature dans la vie quotidienne des Français et de réglementer de façon plus stricte les atteintes à la nature. Toutefois, 29 % des Français, considérant que les enjeux économiques doivent primer, estiment que le développement de la nature doit être contrôlé afin de favoriser les activités humaines. Plus fréquente chez les enquêtés les plus aisés, les plus diplômés et les plus âgés, cette opinion reste néanmoins minoritaire pour l’essentiel des catégories de population étudiées.

L’engagement comme facteur distinctif

Au-delà des facteurs générationnels ou géographiques, l’engagement personnel en faveur de la protection de la nature influe également sur les réponses des enquêtés. En effet, le regard qu’ils portent sur les enjeux liés à la biodiversité n’est pas seulement déterminé par ce qu’ils sont, mais aussi par ce qu’ils font. Interrogés au sujet des actions qu’ils ont mises en œuvre au cours des dernières années, les Français se révèlent en effet diversement engagés. Deux catégories de populations s’opposent significativement : l’une pas ou peu engagée en faveur de la nature (une personne interrogée sur cinq), l’autre fortement engagée (un tiers des enquêtés). Parmi ces derniers, on retrouve notamment les plus jeunes (moins de 25 ans) et les plus âgés (70 ans et plus) ; les enquêtés ayant un faible niveau de vie ; ceux vivant en milieu rural ou dans les espaces périurbains de petites et moyennes villes ; ceux habitant dans des communes où existent plusieurs dispositifs de protection de la nature (parcs nationaux, réserves naturelles, Natura 2000, etc.).

Réponses à la question « Parmi cette liste d’actions, lesquelles avez-vous mis en œuvre plusieurs fois au cours des années passées ? » Les enquêtés les plus engagés en faveur de la protection de la nature répondent beaucoup plus fréquemment que les autres avoir mis en œuvre à plusieurs reprises les actions évoquées. Graphique : Eric Pautard

Par ailleurs, 68 % de ces personnes engagées déclarent en faire déjà beaucoup ou autant qu’elles le peuvent sur le sujet, soit 21 points de plus que celles qui montrent un faible intérêt à l’égard de la nature. De même, la moitié d’entre elles ressentent d’ores et déjà les effets du changement climatique, contre une sur cinq du côté des moins engagées. La fréquentation quotidienne (qui concerne 47 % des plus engagés contre 26 % des moins engagés), le niveau élevé de connaissance sur la nature (34 % contre 8 %) et l’observation d’une très grande variété d’animaux sauvages près de chez soi (15 % contre 4 %) sont autant d’aspects sur lesquels une différence notable est observée entre ces deux catégories. Enfin, les enquêtés les moins engagés sont deux fois plus nombreux à faire preuve d’une forte appréhension à l’égard de la nature. Par ailleurs, 38 % d’entre eux estiment qu’il faudrait privilégier les activités humaines en contrôlant le développement de la nature (soit 16 points de plus que les enquêtés les plus engagés). Dans la mesure où ils ne ressentent pas l’érosion de la biodiversité dans leur quotidien, les personnes qui entretiennent une relation éloignée avec la nature semblent moins tentés de se mobiliser en faveur de sa protection. La distance entre la société et la nature est donc un frein à l’appropriation des enjeux de protection de la biodiversité. C’est probablement pourquoi 18 % des enquêtés considèrent qu’il serait aujourd’hui prioritaire de « remettre de la nature dans la vie quotidienne des Français ».

Pour en savoir plus

•  Datavisualisation des résultats en ligne : dataviz.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ EnqueteNature


Référence

  1. Pautard E. 2020. Les Français et la nature : fréquentation, représentations et opinions. Commissariat général au développement durable. 4 pp. et infographie.

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