Écrevisses exotiques envahissantes en France

L’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarkii) est présente en France depuis 1976. Photo : Jean-Marc Gillier

Le rythme des introductions en milieu naturel s’accélère Trois nouvelles espèces d’écrevisses allochtones ont été signalées en France en 2018 et 2019, portant désormais à cinq le nombre d’espèces d’écrevisses introduites au cours de ces 20 dernières années. Le rythme des introductions d’écrevisses exotiques s’accélère en France et d’une manière plus générale en Europe. Ces crustacés envahissants représentent-ils une menace pour la faune native ? Texte : Marc Collas, Office français de la biodiversité, Direction régionale Grand Est, Service départemental des Vosges Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 325, novembre-décembre 2020 Parmi les 669 espèces d’écrevisses connues dans le monde , la faune française en compte désormais 12 : trois espèces natives (l’écrevisse à pattes blanches Austropotamobius pallipes, l’écrevisse des torrents A. torrentium et l’écrevisse à pattes rouges Astacus astacus), toutes inscrites sur la liste rouge des espèces menacées de disparition selon les critères établis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et neuf espèces introduites (quatre au cours du XXe siècle, et cinq au début du XXIe siècle). Premières introductions volontaires Ce sont des introductions volontaires destinées à l’aquaculture qui sont à l’origine des premières colonisations. La première espèce d’écrevisse envahissante, l’écrevisse américaine (Faxonius limosus), originaire d’Amérique du Nord, fut ainsi introduite en 1890 en Allemagne sur le bassin de l’Oder par un pisciculteur, ce qui constitua le point de départ de la colonisation du vieux continent. L’espèce est aujourd’hui présente dans 22 pays d’Europe. En France, de 1911 à 1913, 2 000 individus volontairement importés d’Allemagne furent déversés dans le Cher. Très rapidement, par l’intermédiaire des canaux de navigation et des transplantations humaines, elle colonisa tous les grands bassins français. Les données disponibles montrent que l’écrevisse américaine est aujourd’hui l’espèce allochtone la plus représentée sur le territoire national : seul le département de la Lozère ne mentionne pas sa présence. Cette première écrevisse américaine fut rapidement suivie de plusieurs autres. La première introduction de l’écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus, originaire de la côte ouest des États-Unis et également appelée écrevisse de Californie) eu lieu entre 1960 et 1982 en Suède, où elle fut déversée dans 260 lacs et cours d’eau. Actuellement, l’espèce est observée dans 29 pays dont la France : entre 1973 et 1977 , en l’absence de législation, 18 000 juvéniles en provenance de Suède furent employés dans le cadre de tentatives d’acclimatation pour l’élevage extensif en plans d’eau dans les départements de Haute-Savoie, de l’Ain et de l’Yonne. L’espèce a ensuite fait l’objet de nombreuses introductions en eaux closes mais aussi en eaux libres. Elle présente aujourd’hui une large répartition au niveau national et concurrence les populations d’écrevisses natives. L’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarkii), originaire quant à elle du nord du Mexique et du sud-est des États-Unis (Louisiane et Floride), est actuellement observée dans 15 pays d’Europe. Des importations massives à partir d’Espagne et du Kenya, où elle avait été introduite quelques années auparavant, permirent son arrivée en France en 1976. Le marché français fut alors inondé d’animaux importés vivants, stockés sans précautions particulières dans des bassins d’où il leur était possible de s’échapper et de rejoindre les milieux naturels. L’espèce est à présent surtout observée sur les façades atlantique et méditerranéenne. Les populations présentent généralement des densités élevées et occupent de vastes superficies de zones humides (étangs littoraux, marais, canaux) et de grands linéaires de cours d’eau et de canaux. Enfin, l’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus), originaire d’Asie mineure et centrale, fut elle aussi introduite pour l’aquaculture dans les années 1970 en France et fit l’objet d’un commerce important (importations d’animaux vivants en provenance de Turquie). Elle est aujourd’hui signalée dans 32 pays d’Europe. En France, elle est observée dans 45 des 97 départements métropolitains. Elle est surtout présente dans les plans d’eau privés et utilisée à des fins d’élevage extensif, mais elle compte peu de populations pérennes dans les cours d’eau du territoire. La concurrence des écrevisses nord-américaines dans de nombreux milieux et la sensibilité de l’espèce à l’aphanomycose semblent limiter son expansion. Deuxième vague d’introductions Si les premières introductions étaient directement liées à l’aquaculture, l’arrivée plus récente de nouvelles espèces peut être attribuée à la globalisation des échanges mondiaux et plus particulièrement au développement du commerce des espèces. En effet, une multitude d’espèces de crustacés décapodes de toutes les régions du monde sont disponibles sur les sites de vente en ligne. Ce commerce principalement destiné à l’aquariophilie semble constituer un vecteur important de dispersion et ces activités pourraient être le support de nouvelles introductions en milieux naturels. Au cours des deux dernières décennies, cinq nouvelles espèces ont été introduites en France : trois espèces nord- américaines et une australienne. La cinquième, l’écrevisse marbrée (Procambarus virginalis), est une curiosité scientifique, comme en atteste le nombre de publications récentes à son sujet. La première de ces nouvelles arrivantes à avoir été détectée en France est l’écrevisse juvénile (Faxonius juvenilis). Originaire du Kentucky et de l’Indiana aux États-Unis, elle a été découverte en 2005 dans le département du Doubs en Franche-Comté. Cette écrevisse figurait à la carte d’un restaurant comme « mets délicat » et était présente dans deux étangs appartenant au restaurant. Des prospections nocturnes ont permis de mettre en évidence la présence de l’espèce dans le Dessoubre, une rivière voisine. Le caractère envahissant de cette espèce n’a toutefois pas été démontré à l’heure actuelle. En effet, depuis sa découverte, la population semble cantonnée au site d’introduction initial. Il semble que la population d’écrevisse du Pacifique, qui a colonisé depuis plusieurs années le cours du Dessoubre, soit un facteur limitant l’extension de cette population. L’écrevisse calicot (Faxonius immunis, originaire de la côte est des États-Unis et largement répartie sur le continent nord- américain) a été signalée en 2010 dans le département du Bas-Rhin. Elle avait été observée en Europe pour la première fois en Allemagne sur le bassin du Rhin dans les années 1990. Les circonstances de son introduction ne sont pas connues […]

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