Éclairage des particuliers et pollution lumineuse : Pas de démocratisation sans précautions !

Vue sur la plaine picarde entre les communes de Chauny et Tergnier (Aisne). L’éclairage des habitats collectifs et individuels s’ajoute à l’éclairage public. Photo : Romain Gosse

La pollution lumineuse, générée par l’éclairage artificiel nocturne, pose de nombreux problèmes, notamment sur les écosystèmes. Le temps est venu de passer à l’action pour mettre en place des pratiques plus vertueuses. Alors que de nombreux acteurs ont pris conscience de leur impact sur la vie nocturne (particulièrement celui causé par l’éclairage public), il est nécessaire de sensibiliser également les citoyens. En effet, les éclairages des particuliers sont aussi susceptibles de générer de la pollution lumineuse et sont également concernés par la réglementation française sur le sujet. Texte : Romain Sordello, UMS PatriNat Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 329, juillet-août 2021 Depuis quelques décennies, l’éclairage artificiel nocturne s’est considérablement déployé et continue d’augmenter. Si cette situation soulève des questions de consommation d’énergie, elle engendre aussi un problème majeur pour les écosystèmes. En effet, un temps journalier d’obscurité est essentiel pour la faune comme pour la flore. Les animaux sont en grande partie actifs la nuit ou au crépuscule et ces animaux nocturnes sont parfaitement adaptés à l’obscurité. L’introduction de lumière artificielle constitue alors une pollution lumineuse qui se traduit par de multiples impacts. Un phénomène d’attraction ou de répulsion, selon les espèces, engendre de la mortalité massive pour les unes (insectes, oiseaux par exemple) et une réduction des habitats naturels pour les autres (chauves-souris ou amphibiens par exemple). Il s’en suit également des déséquilibres dans les relations entre ces espèces, par exemple entre les proies et les prédateurs ou aussi dans le cas de la pollinisation (assurée en grande partie par des insectes, et donc aussi la nuit). Les cycles biologiques sont également perturbés (retard dans la chute des feuilles des arbres caduques, dérèglement du rythme circadien chez la faune diurne comme nocturne). Au final, la pollution lumineuse remet en cause l’alternance jour/nuit (et en régions tempérées, les variations de durée jour/nuit entre été et hiver), des cycles qui rythment la vie depuis des milliards d’années sur Terre. Ces dernières années, la prise de conscience des problèmes posés par l’éclairage nocturne est montée en puissance dans la société. Un grand nombre d’acteurs mettent en place des mesures pour diminuer cette pollution (par exemple, des milliers de communes en France coupent l’éclairage public en cœur de nuit). L’engouement pour ce sujet est flagrant, comme en témoigne son traitement de plus en plus fréquent dans les médias grand public. Néanmoins, parmi les acteurs qui peuvent agir sur cette pollution, les particuliers sont bien souvent oubliés dans ces démarches de sensibilisation. Plus précisément, les particuliers sont généralement vus comme un public « levier » pour interpeler leurs commerçants (par rapport aux enseignes ou aux vitrines éclairées) ou leur municipalité (par rapport à l’éclairage public). Si les citoyens demandent davantage d’obscurité, les acteurs qui en ont le pouvoir (communes, aménageurs, commerces, etc.) finissent par changer leurs pratiques. Or, cette vision masque un point important : de très nombreux particuliers possèdent un terrain, un jardin ou même une terrasse, à la campagne comme en ville, et sont donc eux-même susceptibles d’installer et d’utiliser de l’éclairage extérieur. La plupart des particuliers peuvent ainsi agir directement dans la lutte contre la pollution lumineuse, à leur niveau, à travers leurs propres choix en matière d’éclairage… ou de maintien de l’obscurité dans leur espace privatif extérieur. Les éclairages des particuliers : une part pas si anecdotique ? De prime abord, nous pourrions penser que la part des éclairages extérieurs détenus par des particuliers – et donc la responsabilité de ces derniers dans la pollution lumineuse – est marginale, en comparaison par exemple de l’éclairage public autrement plus visible, puissant et répandu. Factuellement, il n’existe pas d’estimation permettant de quantifier cette part. Néanmoins, il faut rappeler qu’en 2016, 68 % des Français vivaient dans une maison (ce qui est bien supérieur à la moyenne européenne de 57 %) , possédant donc potentiellement un espace extérieur, des abords, voire un jardin. En outre, même des éclairages peu puissants engendrent des impacts sur la biodiversité. En 2018, une étude a montré que de simples veilleuses solaires (dont l’intensité lumineuse est de l’ordre de 1 lux), que beaucoup de particuliers disposent dans leur jardin, constituent des pièges pour certains insectes. Enfin, les possibilités d’installer de l’éclairage privatif ne font qu’augmenter. Aujourd’hui, de nouvelles technologies – les diodes électro- luminescentes (ou LED) – permettent à tout un chacun d’acheter très facilement sur internet ou dans un magasin de bricolage des éclairages bon marché et souvent alimentés par énergie solaire photo- voltaïque, sans nécessiter de câbles électriques. Il est donc devenu très simple d’avoir de l’éclairage à l’extérieur de son domicile, de plus en plus puissant et sans consommer d’électricité. Si cette « démocratisation de l’éclairage » représente un vrai progrès pour l’accès à la lumière pour tous, notamment dans les zones très rurales, elle se traduit aussi inévitablement par une augmentation du nombre de points lumineux dans l’environnement et donc forcé- ment par davantage de pollution lumineuse. Ce phénomène est appelé « l’effet rebond » ou paradoxe de Jevons (selon lequel, à mesure que les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer) et est déjà constaté en éclairage public. En d’autres termes, on peut éclairer plus tout en consommant moins, ce qui ne résout pas les impacts causés à la biodiversité. Il est donc important de responsabiliser les particuliers vis-à-vis de la pollution lumineuse en rappelant quelques principes pour diminuer cette part des pressions anthropiques qui s’exercent sur la biodiversité. Que dit la règlementation ? En France, l’éclairage extérieur est soumis à une règlementation qui se consolide depuis le Grenelle de l’environnement (2007). Notamment, un arrêté ministériel datant du 27 décembre 2018 fixe des prescriptions techniques pour différentes catégories d’usages de l’éclairage, et s’applique à toutes les nouvelles installations depuis le 1er janvier 2020. Les particuliers sont directement concernés dans certains cas, notamment pour les éclairages de sécurité et de confort. Pour la plupart des autres types d’éclairages, ils ne sont pas explicitement visés. Éclairages destinés à assurer la sécurité et le confort des biens ou des personnes (catégorie « a ») Cette catégorie englobe tous les éclairages de cheminement ou de sécurité de types lampes murales devant la porte de maison ou le garage, éclairages des allées autour de la maison ou au sein du jardin, éclairages d’une cour intérieure privative, etc. Pour cette catégorie, la règlementation fixe à 3000 K la température de couleur maximale autorisée (correspondant à un blanc neutre à chaud). La part de lumière renvoyée au-dessus de l’horizon- tale (appelée ULR pour Upward Light Ratio) une fois l’éclairage installé ne doit pas dépasser 4 %. La quantité maximale de lumière autorisée sur la surface que l’on cherche à éclairer (appelée « densité surfacique de flux » ou DSFLI) est de 35 lumen/m² (en agglomération) ou 25 lumen/m² (hors agglomération). Ce seuil représente une « dotation de lumière » à ne pas dépasser. Enfin, 95 % du flux lumineux doit être concentré dans un angle de 151°, c’est-à-dire un cône de 75,5° (ce que l’on appelle le « code flux CIE 3 »). Ce seuil vise à éclairer précisément ce que l’on souhaite sans débordement inutile autour de la cible. Aussi, les luminaires émettant plus de 50 % de lumière au-dessus de l’horizontale installés avant le 1er janvier 2020 devront être changés au plus tard […]

Accès restreint

Ce contenu est réservé aux abonnés du magazine Courrier de la Nature

S'abonner au magazine  Se connecter

Contenus liés

Abonné
  • Actualité
Fév 2024

Renforcer le lien entre l’humain et la nature : un levier d’action pour préserver la biodiversité et le climat