Droit de l’environnement : Vers de nouveaux délits, ersatz au crime d’écocide

La commune de Marennes (17) est propriétaire depuis 1958 d’un terrain occupé entre 1872 et 1920 par une fabrique de soude et d’engrais chimique de la société Saint-Gobain. Suite à une étude menée en 2001 révélant la pollution du sol et des eaux souterraines sur le site, la commune a refusé de prendre le coût de la dépollution en charge. En 2019, le Conseil d’État a tranché en sa faveur, précisant ainsi les obligations de l’État en matière de dépollution d’un site abandonné depuis plus de 30 ans. Photo : Melaine/Flickr
Texte : Gabriel Ullmann, docteur en droit, docteur-ingénieur, ancien membre de l’Autorité environnementale

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 326, janvier-février 2021

Parmi les propositions issues du travail courant 2020 de la Convention citoyenne pour le climat, figure la reconnaissance du crime d’écocide. Le 22 novembre 2020, les ministres de la Transition écologique Barbara Pompili et de la Justice Éric Dupond-Moretti annonçaient en lieu et place le projet de création – dont le calendrier n’a pas été précisé – d’un délit général de pollution et d’un délit de mise en danger de l’environnement.

Un délit n’a pas la même portée qu’un crime

De nombreuses tentatives furent faites depuis 1947 pour instituer un crime d’écocide. En 2019, en réponse à une proposition de loi visant à reconnaître ce crime, la garde des Sceaux Nicole Belloubet avait affirmé que l’arsenal législatif punissait déjà les « atteintes d’ampleur ». [1] Selon les ministres précités, le gouvernement aurait opté pour un délit au motif que qualifier les actes incriminés en crime aurait été disproportionné. Mais c’est oublier que de nombreux crimes existent déjà dans notre code pénal, pour des faits graves mais sans doute moins que la destruction irrémédiable d’un écosystème, comme la contrefaçon ou la falsification de monnaie, ou bien le faux ou usage de faux par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.

Parmi les « intérêts fondamentaux de la nation » définis par le code pénal figure « l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement ». Pour autant, aucune disposition ne figure à ce jour en matière d’atteintes à cet équilibre. L’inclusion d’un crime d’écocide aurait été une belle opportunité. Le délai de prescription aurait été de 20 ans au lieu de six pour un délit, très utile dans le cas de dommages à long terme qui se font sentir ou sont découverts longtemps après les faits. De plus, ces faits relèveraient des assises, ce qui donnerait un pouvoir de décision à la population par l’intermédiaire des jurés. La médiatisation des procès d’assises est souvent plus forte et les moyens mis en œuvre pour rechercher les auteurs et les preuves d’un crime sont également plus importants. Autant d’éléments qui en feraient un dispositif plus dissuasif qu’un délit.

Délit d’écocide ou délit général de pollution ?

En lieu et place d’un crime d’écocide, le gouvernement annonce deux infractions, dont un délit général de pollution. Le terme d’écocide n’apparaît plus. « Les peines encourues vont de trois ans d’emprisonnement à dix ans selon qu’on est en présence d’une infraction d’imprudence, d’une violation manifestement délibérée d’une obligation et la plus lourde, d’une infraction intentionnelle », rapporte Éric Dupont-Moretti. Les amendes iront jusqu’ à 4,5 millions d’euros.

C’est dans les cas les plus graves, ceux d’infractions intentionnelles ayant causé des dommages irréversibles à l’environnement, qu’on parlerait alors de délit d’écocide. En pratique, ce sera exceptionnel, vu toutes les conditions à remplir. Il serait donc d’autant plus important qu’on impute à ces faits toute la portée symbolique du crime. Le dispositif proposé s’inscrit dans un délit général de pollution, et tous les exemples fournis n’évoquent que des faits de pollution. Cela est très réducteur par rapport à un écocide : un milieu est détruit irrémédiablement bien souvent plus par la déforestation, l’assèchement ou d’autres formes de dégradation que par des pollutions.

Or, les textes qui sanctionnent de tels faits existent déjà, même s’ils doivent être améliorés et complétés. Le quantum des peines proposées a été fortement relevé, mais cela ne compense en rien un crime d’écocide. D’autant qu’en présence de peines encourues moins sévères, les juges condamnent déjà très rarement au maximum de ces peines. Si l’on veut rester dans le domaine des délits, il s’agirait avant tout d’appliquer l’ensemble des textes existants, et dans toute leur rigueur si on voulait déjà les rendre dissuasifs, efficaces, et, au besoin, suffisamment répressifs.

De plus, ce « nouveau » délit général de pollution est en fait un recyclage d’une obligation que la France ne respecte pas depuis 10 ans, à savoir la transposition de la directive UE du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. Celle-ci définit un ensemble d’infractions graves à l’encontre de l’environnement et impose aux pays de l’Union européenne d’introduire « des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives à l’encontre de ce type d’infraction lorsqu’elle est délibérée ou relève d’une négligence grave ». Les pays devaient la transposer dans leur droit national avant le 26 décembre 2010… Rappelons que si les gouvernements successifs se sont faits fort de faire la chasse à la « surtransposition », ils ne se signalent pas par la même célérité et efficacité pour combattre la « sous-transposition ».

Une nouveauté bienvenue mais étriquée

La seconde infraction qui serait créée est la mise en danger délibérée de l’environnement, sur le même principe que la mise en danger d’autrui introduite dans notre droit pénal en 2011. Elle correspond à une infraction non intentionnelle : la personne l’ayant commise n’en avait pas forcément l’intention et son résultat peut rester une pure éventualité. Cela vise à sanctionner un comportement imprudent ou négligeant ; il s’agit de prévention. Ce serait donc une évolution utile du droit pénal de l’environnement, car la répression, si elle est réellement exercée, pourrait intervenir sans attendre la réalisation de dommages écologiques qui sont parfois complexes, très coûteux à réparer, voire irréversibles. Selon le ministre de la justice, la mise en danger de l’environnement pourrait être punie d’une peine maximale d’un an de prison et 100 000 euros d’amende. Il n’est pas annoncé, à ce stade, d’amendes spécifiques pour les personnes morales.

Mais aussitôt proposée, aussitôt amoindrie. Cette nouvelle sanction « vise à pénaliser la mise en danger de l’environnement par des violations délibérées d’une obligation », souligne Éric Dupond-Moretti. [2] Contrairement à la mise en danger d’autrui, qui se fonde sur une violation délibérée, il faudrait ici… plusieurs violations délibérées. Cela serait tout sauf dissuasif, voire contre-productif, car prouver une succession de violations délibérées poserait de sérieuses difficultés. Comme le garde des Sceaux est un éminent pénaliste, cette définition n’est pas une erreur : elle traduit avant tout un effet d’annonce.

Le manque de culture et de moyens de la justice

Créer de nouvelles infractions sans prendre les mesures pour que les infractions environnementales actuelles soient déjà sérieusement poursuivies, puis réprimées de façon dissuasive revient une fois encore à ajouter des textes aux textes, tout en se contentant d’une indigence de moyens en matière de poursuites et de jugement. C’est aussi faire fi du manque de culture de certains parquets et juges pour ces questions, encore considérées comme non prioritaires. On compte donner plus de pouvoirs d’actions aux agents de l’Office français de la biodiversité, alors qu’ils voient leurs effectifs et leurs moyens se réduire d’année en année (60 suppressions de postes sont prévues entre 2021 et 2022).

On évoque des violations manifestement délibérées d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, mais les gouvernements successifs, l’actuel en tout premier lieu, n’ont eu de cesse de démanteler les lois et règlements qui le régissent le droit de l’environnement…donc de limiter d’autant le champ d’application de ces nouvelles infractions. Il est donc à craindre que ces deux nouvelles infractions soient vouées à une mise en œuvre anecdotique, tout en rejetant l’opportunité de créer enfin le crime d’écocide, avec toute sa portée juridique et symbolique.


Références

  1. L'Assemblée nationale rejette une proposition socialiste qui visait à créer un crime « d'écocide » , sur francetvinfo.fr, 12 décembre 2019.
  2. Dans le Journal du dimanche du 21 novembre 2020.

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