Des forêts en libre évolution ?

Laisser la forêt en libre évolution, c’est laisser le milieu se développer selon ses lois propres, sans y toucher ; c’est laisser les dynamiques écologiques faire un lent travail de vivification, de création de multiples formes de vie. 

Du point de vue sémantique, plusieurs appellations peuvent correspondre à un état de libre évolution dans les forêts.

  • « Forestièrement » parlant, il s’agit de forêts sans coupe de bois et sans prélèvement de toutes natures ;
  • Dans le domaine « culturel », on peut évoquer le retour du sauvage, ou le ré-ensauvagement ;
  • Du point de vue scientifique, dans le contexte français connu des forestiers, on parlera de « haute naturalité » ;
  • Enfin, d’un point de vue sociétal, il s’agit d’un patrimoine du passé qui devient un patrimoine pour l’avenir, dans un contexte de changement climatique et d’érosion de la biodiversité auquel il peut apporter des réponses positives naturelles, pas toujours anticipées.

En fait, l’intérêt actuel pour la libre évolution forestière englobe six enjeux et un pari :

  • L’enjeu de préserver les forêts, rares et relictuelles en Europe occidentale, qui ont été faiblement marquées par l’empreinte humaine et qui représentent à ce titre un enjeu écologique et patrimonial important, comme autant de sites de référence permettant de définir des modèles ;
  • L’enjeu de permettre plus largement l’expression de formes de biodiversité liées aux stades de maturité, surmaturité, sénescence, mort et décomposition des grands végétaux – ligneux ou non – , de la forêt, qui ont été considérablement réduits par les pressions humaines et les interventions depuis de nombreux siècles et millénaires ;
  • L’enjeu de mieux connaître et étudier les processus et fonctionnalités écologiques ainsi que le fonctionnement de ces écosystèmes, ce qui amène les humains à réfléchir notamment sur la notion de « solutions fondées sur la nature » et de « services écosystémiques » ;
  • L’enjeu d’un rééquilibrage des orientations actuelles, en diminuant les actions qui privilégient les espèces et les habitats dans une logique – parfois qualifiée de « fixiste », et qui introduit une vision spatiale et temporelle plus dynamique et plus évolutive de la biodiversité ;
  • L’enjeu du « lâcher prise » qui réhabilite le fait que l’humain puisse décider de ne pas toujours tout contrôler, voire de ne pas agir, induisant ainsi un rapport peu connu entre l’humain et le non-humain ;
  • L’enjeu de la curiosité, par l’observation de l’évolution de ce milieu sur de vastes surfaces où les trois niveaux de biodiversité peuvent s’exprimer (génétique, spécifique et écosystémique) ; dans la démarche du chercheur, la curiosité envers les éléments de nature mène parfois à des découvertes intéressantes pour l’homme ;

Le pari que, dans cette époque de changement climatique, le choix de la libre évolution pourrait faire émerger de nouvelles formes d’associations végétales et animales, selon un processus qui génère de la nouveauté et pourrait contribuer à la restauration des écosystèmes et de leurs fonctions. De plus, l’observation de cette dynamique et ses éléments pourrait se transposer dans les écosystèmes humains et sociétaux.

 « Une forêt en libre évolution fait ce que fait la vie : elle lutte spontanément contre le réchauffement climatique, par limitation de l’effet de serre. Elle stocke le carbone, d’autant mieux que ses arbres sont anciens et vénérables. Elle travaille à l’épuration de l’eau et de l’air, à la formation de sols, à la diminution de l’érosion, à l’épanouissement d’une riche biodiversité, résiliente, capable d’encaisser les coups du mauvais temps qui vient ».

Extrait de la tribune publiée dans « Le Monde » par Baptiste Morizot, le
19/07/2019

La forêt, son écosystème, sa biodiversité

Sous nos latitudes, en milieu tempéré et à basse et moyenne altitude, les forêts de feuillus dominent. En général riches en mares et milieux humides, les forêts abritent une grande diversité biologique, constituées de milieux biologiques différents et apparentés.

La forêt est caractérisée d’abord par son sous-sol géologique. Au-dessus, le sol grouille de vie, abritant une multitude de petits organismes qui représentent une grande diversité d’espèces : bactéries, annélides, collemboles, acariens, insectes, champignons. Ils utilisent comme nourriture la litière des feuilles et la matière organique tombées au sol. Ils les broient, les décomposent, les digèrent, constituant ainsi un apport continu de nourriture pour les racines des arbres et celles de la végétation attenante.

La forêt est un écosystème complexe et riche, offrant de nombreux habitats à diverses espèces et populations animales, végétales, fongiques et microbiennes entretenant entre elles, pour la plupart, des relations d’interdépendance. Deux environnements la composent : l’environnement physico-chimique : eau, air, lumière et minéraux – dont la qualité peut varier -, et l’environnement biotique représenté par tous les végétaux et animaux présents dans le milieu.

En ce qui concerne son fonctionnement, l’écosystème forestier fonctionne en circuit quasi fermé dans lequel il n’y aucun déchet !  La matière organique décomposée et les sels minéraux du sol alimentent les racines des arbres et des arbustes, et des phénomènes complexes de flux de matière et d’énergie se répartissent le long d’une chaîne alimentaire longue (animaux et végétaux). La photosynthèse génère la production de matière.

La forêt a de multiples fonctions et bienfaits, y compris pour l’être humain :

  • Elle absorbe la pluie comme une éponge et favorise une lente infiltration de l’eau dans les couches profondes du sol, nous protégeant ainsi de façon efficace contre les risques de crues. Cette eau filtrée par le sol est d’excellente qualité ;
  • Elle exerce une fonction de protection contre les dégradations de l’environnement. Notons son action anti-érosive, la purification de l’air en absorbant les gaz polluants et en interceptant les poussières et les germes pathogènes ;
  • De par son ombrage et par son évapotranspiration, elle abaisse de plusieurs degrés la température des lieux ;
  • Elle représente un lieu de stockage du carbone, tant au niveau des arbres qu’au niveau du sol ; dans ce dernier sont stockées plus de 100 tonnes par hectare ;
  • Elle a une fonction de production. Elle a longtemps concouru à l’alimentation de l’homme. Aujourd’hui, la demande en bois est plus que jamais présente (bois d’œuvre, de chauffage, bois-construction, divers) ;
  • Elle a une fonction de récréation, notamment forte en zone urbanisée. En effet, les humains trouvent dans la forêt le calme et la liberté qui leur manquent dans la cité.

 

Par Marie-Odile GRANDCHAMP, Vice-Présidente de la SNPN

 

Notion de CLIMAX :

Le climax est l’état durable d’équilibre (à une échelle plus ou moins longue, parfois géologique) atteint par l’ensemble d’un sol et de la végétation qu’il porte. Dans cet état, la biomasse y est théoriquement maximale. Dans les zones tempérées, le stade ultime d’une végétation laissée en libre évolution est celui d’un milieu forestier de feuillus.