Des cendres à la vie : Retour de la biodiversité après un incendie de forêt en montagne

Reconquête du sol calciné par les plantes comme ici la bugrane (Ononis rotundifolia), un an après l’incendie. Photo : Claude Remy

L’un des plus grands incendies de forêt du département des Hautes-Alpes a eu lieu en juillet 2003, essentiellement sur la commune de l’Argentière-la-Bessée. Peu d’études ayant été faites sur la recolonisation de la biodiversité après un incendie en montagne, l’association Arnica Montana décide début 2004 de suivre la recolonisation végétale et animale. L’étude se poursuit actuellement. Texte et photos : Claude Remy, Président de l’association Arnica montana, professeur agrégé de SVT au lycée d’altitude de Briançon (05) Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 308, janvier-février 2018 Le Bois de France, situé sur la commune de l’Argentière-la-Bessée dans les Hautes-Alpes, s’étend entre 960 et 2 000 m d’altitude, principalement en exposition ouest sur roches-mères calcaires. Les pentes peuvent atteindre 60 %. Il y règne un climat de montagne typique des Alpes internes (hiver froid avec présence de neige), avec une influence méditerranéenne (faibles précipitations et sécheresse estivale). Avant l’incendie, le pin sylvestre (Pinus sylvestris) représentait près de la moitié des arbres, suivi par le pin à crochets (Pinus mugo ssp. uncinata) pour environ 15 %. Le mélèze (Larix decidua) et le pin noir d’Autriche (Pinus nigra ssp. nigra) plantés après un incendie en 1942, représentaient chacun moins de 10 % du peuplement. Le reste de la zone était constitué de pelouses et de landes. Des relevés floristiques effectués par l’auteur en 1984 et des relevés réalisés en 2006 dans des secteurs épargnés par les flammes ont permis d’estimer la composition de la végétation avant l’incendie. Dans la pinède sylvestre, calcicole, poussaient des plantes caractéristiques comme la bugrane à feuilles rondes (Ononis rotundifolia), dont les feuilles sont constituées de trois folioles arrondies. Le raisin d’ours (Arcostaphylos uva-ursi) formait des tapis parfois importants sur le sol. Le laser siler (Laserpitium siler) était également bien présent, de même que de nombreux arbustes comme l’amélanchier (Amelanchier ovalis) dans les secteurs bien éclairés. Les faibles différences entre les végétations herbacée et arbustive des pinèdes et du mélézin suggèrent une évolution naturelle de la végétation vers une forêt de pin sylvestre relayée en altitude par une pinède à crochets. L’incendie et son impact Le 7 juillet 2003, des travaux sur le talus de la route nationale au sud de l’Argentière-la-Bessée projettent une étincelle, qui embrase les broussailles. Le feu, poussé par un vent fort, se propage très rapidement aux boisements supérieurs. Si l’incendie est rapidement contenu grâce à l’intervention de moyens aériens, ce n’est que le 28 juillet que les dernières fumeroles sont éteintes. Près de 250 hectares sont dévastés par le feu. Il est difficile de quantifier la mortalité de la faune par l’incendie. Certains animaux peuvent fuir : c’est le cas des oiseaux, mais leurs nichées peuvent être détruites par les flammes. La végétation, quant à elle, est entièrement calcinée, sauf quelques îlots d’arbres épargnés par le feu. Certains troncs d’arbres brûlés resteront dressés sur place, mais dans les secteurs les plus à risque, des arbres brûlés sont rapidement abattus et disposés parallèlement aux courbes de niveau (formation de fascines) pour protéger les habitations. La destruction du couvert végétal augmente en effet l’érosion, provoquant dans ce massif montagneux pentu des risques de glissements de terrain. Les menaces de ravinements et de coulées boueuses sont importantes. Plusieurs falaises sont situées dans la forêt au-dessus de l’agglomération. Les températures élevées ont fragmenté certains blocs, entraînant un risque d’éboulement. Au niveau du sol, la litière et l’humus ont presque totalement brûlé. Les cendres, riches en minéraux, pourront par la suite avoir un effet fertilisant, mais limité dans le temps du fait de l’érosion et du lessivage par l’eau de pluie. La reconquête par la flore Chaque année depuis 2004, nous inventorions et photographions la flore sur trois placettes de 100 m2 situées dans la pinède sylvestre à des altitudes différentes afin de suivre la recolonisation. Nous y avons observé durant les quatre premières années après l’incendie une augmentation progressive du recouvrement du sol par les végétaux, ainsi qu’une augmentation considérable du nombre d’espèces végétales. Dans les secteurs où le feu a été très intense au sol, on n’observait début 2004 plus aucune trace de végétation, excepté les îlots d’arbres épargnés par les flammes. Ils joueront un rôle important dans le retour de la flore et de la faune : la recolonisation des pins sylvestres par les graines se fait à partir des bordures forestières et de ces îlots qui servent de refuge pour les oiseaux. Quelques plantes isolées comme des pissenlits (Taraxacum officinalis) et des framboisiers (Rubus idaeus) commencent à pousser sur le sol calciné. Certaines orchidées comme des épipactis fleurissent déjà dès la première année grâce aux méristèmes de leurs parties souterraines demeurées intactes. Dans certains secteurs où la température au sol a été moins élevée (le feu a plutôt attaqué la cime), la végétation repart plus rapidement, avec par exemple de nombreux pieds de bugrane à feuilles rondes ou de vesce à épis (Vicia cracca). Certains végétaux ont la possibilité d’émettre des rejets à partir de leur appareil végétatif souterrain et peuvent donc repousser rapidement. C’est le cas d’arbustes comme le sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) ou le baguenaudier (Colutea arborescens). Ils vont jouer un rôle important dans la régénération, et sont donc à préserver après un incendie. De façon surprenante, une plante rare et protégée était présente en abondance dans la forêt en 2004 et formait de superbes coussins roses : l’iberis du mont Aurouze (Iberis aurosica). Cette brassicacée endémique est une plante pionnière bisannuelle craignant la concurrence d’autres végétaux. Elle a profité de la destruction de la végétation concurrente pour coloniser une grande partie du Bois de France. Enfin, les plantes favorisées par […]

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