Biodiversité urbaine : Une mosaïque de sites permet d’accueillir une diversité de papillons et d’araignées

Le papillon belle-dame (Vanessa cardui) fréquente les espaces verts urbains. Photo : Benoît Fontaine
Texte : David Geoffroy, Grenoble-Alpes Métropole

Benoît Fontaine, Vigie Nature, Muséum national d’histoire naturelle

Aurélien Besnard, CEFE, CNRS, EPHE-PSL University, IRD, Université Paul Valéry Montpellier 3

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 327, mars-avril 2021

L’étude de l’écologie urbaine a montré que la biodiversité s’appauvrit avec l’urbanisation et que la composition des peuplements est, elle aussi, affectée [1], [2]. Grace à cette prise de conscience, les gestionnaires d’espaces verts urbains font désormais évoluer leurs pratiques afin de favoriser l’accueil de la biodiversité en ville. Or, il existe peu de connaissances sur le lien entre biodiversité et pratiques de gestion des espaces verts. Une étude [3] a été conduite dans l’agglomération grenobloise durant deux étés, en 2014 et 2015, pour mesurer l’impact du type d’espace urbain et des modes de gestion sur la biodiversité.

Des protocoles simplifiés pour obtenir les données

Afin de permettre aux gestionnaires de percevoir l’impact de leurs pratiques sur la biodiversité, les observations ont été réalisées par les jardiniers de la ville de Grenoble eux-mêmes (et par un des auteurs, alors étudiant), qui ne disposaient pas de fortes connaissances naturalistes. Pour cette raison, des taxons facilement détectables par des non-spécialistes ont été choisis : les rhopalocères (souvent appelés « papillons de jour »), qui renseignent sur la qualité et la diversité de la végétation [4] et les toiles d’araignées, facilement repérables [5], qui informent sur la présence d’une communauté d’arthropodes proies.

Les protocoles participatifs Vigie-Nature

Fondé et porté par le Muséum national d’histoire naturelle, Vigie-Nature propose des protocoles de sciences participatives animés par des associations et mis en œuvre par des observateurs volontaires (cf. n° spécial 2019, p. 23 à 27). En s’appuyant sur des protocoles simples et rigoureux, ce programme permet à chacun de contribuer à la recherche en découvrant la biodiversité qui nous entoure. Il procure aux scientifiques des données de terrain essentielles pour décrire l’évolution de la biodiversité et participe ainsi à l’amélioration des connaissances sur la biodiversité ordinaire. Pour cette étude, le protocole participatif Protocole papillons gestionaires (Propage) a été utilisé pour relever les rhopalocères. [6] Il ne nécessite pas de connaissances préalables, puisque les espèces compliquées à identifier sont rassemblées en groupes de papillons semblables (piérides blanches, lycènes bleues par exemple). Pour les araignées, un protocole a été produit sur un modèle similaire, reposant sur l’identification des espèces ou groupes d’espèces par la forme de leurs toiles.

À chaque espace sa biodiversité

Une première série d’observations portait sur les papillons et araignées des friches, parcs et cimetières dans sept communes densément urbanisées de l’agglomération grenobloise. Pour cinq cimetières sur sept, l’usage des herbicides avait été arrêté avant le début des comptages (une évolution liée au durcissement des réglementations pour l’usage des produits phytosanitaires). Les parcs observés faisaient l’objet d’un entretien relativement intensif (accueil d’usages de loisirs, tontes courtes et fréquentes, peu de massifs fleuris, arbustes partiellement taillés, massifs de vivaces…).

Comme on pouvait s’y attendre, les friches urbaines sont les milieux les plus accueillants pour les espèces d’araignées et de papillons suivies. Cela peut être expliqué par la bonne diversité de végétation mais également par la quasi-absence de dérangement (ni entretien, ni fréquentation). Pour les papillons, peu de différence en abondance ou diversité a été observée entre les parcs et cimetières, ce qui peut sembler contre-intuitif aux yeux d’un gestionnaire (les cimetières, majoritairement minéraux, ne sont pas perçus comme des espaces de nature). En ce qui concerne les araignées, les friches et parcs présentent des abondances équivalentes, soulignant que les taxons ne réagissent pas de la même façon aux types de sites.

Enfin, les communautés observées varient d’un site à l’autre, en lien avec les habitats présents. Par exemple, le brun des pélargoniums (Cacyreus marshalli), les mégères (Lasiommata spp.) et la belle-dame (Vanessa cardui) sont les espèces de papillons les plus associées aux cimetières, où elles trouvent respective- ment le pélargonium sur les tombes fleuries, des sols nus pour se réchauffer et des chardons sur les tombes abandonnées. De même en ce qui concerne les araignées : on y trouve plus particulièrement l’épeire concombre (Araniella cucurbitina, vivant sur les arbustes des sites ensoleillés), l’ullobore pâle (Uloborus walckenaerius, garrigues basses ensoleillées) et la zygielle des fenêtres (Zygiella x-notata, caractéristique des zones urbaines).

Paisibles et fleuris, les cimetières abritent une diversité d’espèces d’insectes souvent insoupçonnée par leurs gestionnaires. Photo : David Greoffroy

L’influence d’une gestion allégée pour les papillons

Une seconde série d’observations portait uniquement sur les papillons au sein des espaces verts de la ville de Grenoble, dans des sites faisant l’objet d’une gestion plus ou moins intense (gestion différenciée). En complément, des prairies sur la colline de la Bastille, espace naturel touchant la ville, ont été prospectées et les observations ont été comparées à celles des friches urbaines. Tous les espaces observés étaient exempts de traitements phytosanitaires.

Globalement, l’abondance et la diversité de papillons augmentent avec l’allègement de l’intensité de la gestion. Ce résultat confirme l’intérêt de la gestion différenciée pour le maintien de rhopalocères dans les milieux urbains. Résultat inédit, les cimetières sont aussi accueillants que les classes de gestion les plus allégées (type « naturel ») et les friches urbaines. Les variations d’abondance et de diversité sont explicables par la forte influence de la gestion différenciée sur la couverture herbacée et l’influence de cette dernière sur les populations de papillons. [7]

Gestion différenciée des espaces verts

La gestion différenciée affecte une fonction différente à chaque surface d’espace vert. Elle assure un équilibre entre accueil du public, fonction décorative, zone refuge pour la biodiversité, etc. Elle oriente ainsi le travail du jardinier : usage de plantes vivaces ou annuelles, fréquence de tonte, complexité des massifs floraux… En 2015, quatre classes de gestion existaient dans les espaces verts de la ville de Grenoble, par ordre décroissant d’intensité d’entretien : type ornemental, classique, semi-naturel et naturel. Par exemple, la pelouse était tondue sur la classe ornementale, moins fréquemment et moins bas sur deux autres classes, et pas du tout sur la classe naturelle.

Des conclusions à partager avec les gestionnaires

Les résultats obtenus peuvent orienter les gestionnaires dans leurs pratiques afin de développer la biodiversité sur l’ensemble des espaces végétalisés urbains. En l’absence de traitements phytosanitaires, les cimetières accueillent une population de rhopalocères intéressante et complémentaire de celle des parcs et jardins. Il est donc important de porter sur ces espaces un regard et des pratiques de gestion qui intègrent ce potentiel d’accueil.

Par ailleurs, les divers espaces jouent des rôles complémentaires, tel un patchwork de refuges pour diverses espèces. La gestion différenciée augmente les effectifs et la diversité en papillons ; à ce bénéfice écologique s’ajoutent le temps gagné pour les jardiniers et la diversité paysagère des jardins ainsi gérés. Les espaces les plus fréquentés par les citadins sont aussi ceux sur lesquels la population de rhopalocères est la plus faible. Ce résultat souligne l’intérêt du maintien de zones refuges [8] [9], protégées de la fréquentation, pour accueillir la biodiversité potentielle d’un espace.

 

Pour aller plus loin

•  Tous les résultats de l’étude Quelle biodiversité urbaine est observée sur les espaces verts, les friches et les cimetières ? Une illustration à Grenoble sur le site du MNHN.


Références

  1. Faeth S., Bang C., Saari S. 2011. Urban biodiversity: patterns and mechanisms. Annals of the New York academy of sciences 1223, Issue: The Year in Ecology and Conservation Biology, p. 69-81.
  2. Fortel L., Henry M., Guilbaud L., et al. 2014. Decreasing abundance, increasing diversity and changing structure of the wild bee community (Hymenoptera: Anthophila) along an urbanization gradient. PLoS ONE 9(8): e104679.
  3. Geoffroy D. 2017. Biodiversité urbaine : quelle biodiversité observée et quelle biodiversité perçue sur les espaces verts et les espaces marginaux ? Mémoire présenté pour l’obtention du diplôme de l’École pratique des hautes études. 124 pp.
  4. Manil L., Lerch A., Fontaine B., et al. 2013. Suivi temporel des Rhopalocères de France (STERF) : bilan 2005-2012. Museum national d’histoire naturelle. 68 pp.
  5. Miyashita T., Shinkai A., Chida T. 1998. The effect of forest fragmentation on web spider communities in urban areas. Biological conservation Vol. 86, p. 357-364.
  6. Fontaine B., Renard M. 2010. PROPAGE, protocole de suivi des papillons par les gestionnaires. Muséum national d'histoire naturelle et Noé conservation.
  7. Hogsden K.L., Hutchinson T.C. 2004. Butterfly assemblages along a human disturbance gradient in Ontario, Canada. Canadian Journal of Zoology Vol. 82, p. 739-748.
  8. Chong K.Y., Teo S., Kurukulasuriya B., et al. 2014. Not all green is good: Different effects of the natural and cultivated components of urban vegetation on bird and butterfly diversity. Biological conservation Vol. 171, p. 299-309.
  9. Shochat E., Stefanov W.L., Whitehouse M.E.A., et al. 2004. Urbanization and spider diversity: influences of human modification of habitat structure and productivity. Ecological Applications Vol. 14, Issue 1, p. 268-280.

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