Aménagement : Biodiversité menacée au lac de Montbel
Texte : Claudine Delmas, membre du collectif « À pas de loutre », bénévole des associations ANA-CEN Ariège et Nature en Occitanie, Joseph Michel, membre du collectif « À pas de loutre », bénévole de l'association ANA-CEN Ariège Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 331, novembre-décembre 2021
Situé sur les départements de l’Ariège et de l’Aude, le lac de Montbel est un plan d’eau artificiel mis en eau en 1985. D’une superficie de 551 ha, il est composé de deux parties : une retenue à niveau variable de 472 ha (55 millions de mètres cubes, ou Mm3) séparée par deux digues d’une seconde de 79 ha (5,5 Mm3) à niveau constant. La partie à niveau variable est destinée à la compensation de prélèvements agricoles sur l’Ariège, la Haute-Garonne et l’Aude, et au soutien d’étiage de l’Hers Vif, un affluent de l’Ariège – cela consiste à ajouter au débit naturel trop faible de la rivière un débit supplémentaire obtenu en déstockant l’eau de la retenue du barrage. Aménagée pour le tourisme, elle est bordée par des campings, des plages, des établissements de restauration, un club de voile et un sentier de randonnée. La partie dite à niveau constant n’a subi aucune urbanisation depuis la création du lac. Elle est entourée de zones naturelles, aquatiques, agricoles et forestières, refuges pour la faune et la flore sauvages qui s’y développent depuis 36 ans.
Un projet pas si responsable
Le Schéma directeur de développement touristique et des loisirs du lac de Montbel, élaboré en 2017 par la communauté de communes du Pays de Mirepoix (CCPM) préconisait de protéger le lac par un arrêté de biotope ou la création d’une réserve naturelle. Pourtant, en 2018, les élus locaux ont choisi ce site comme lieu d’implantation d’un futur complexe touristique présenté par ses promoteurs comme « écoresponsable ». Cette décision fut prise sans attendre les résultats de l’Atlas de biodiversité communale (ABC) du Pays de Mirepoix pourtant mis en route par cette même communauté de communes fin 2017 et censé permettre l’intégration des enjeux de biodiversité dans leurs démarches d’aménagement.
Le projet Coucoo, de la société Nature Cabanes et Spa, prévoit la construction de 25 cabanes grand confort, d’un bâtiment d’accueil avec piscine et d’une flotte de bateaux électriques, entraînant la réalisation de voies d’accès et de tous les réseaux nécessaires (eau, électricité, assainissement, piste de secours). Ainsi 9,7 ha viennent d’être mis à la disposition d’une entre- prise privée, ce qui représente 2,5 km de rive occupée et 3 ha de terre agricole confisqués. Un collectif baptisé « À pas de loutre », soutenu par les associations environnementales locales et régionales (Comité écologique ariégeois, Le chabot, Nature en Occitanie, France nature environnement) s’est constitué en janvier 2021. Son but : protéger la riche biodiversité du lac menacée par le projet.
Une biodiversité à préserver
Les nouveaux milieux – digues, zones humides, plan d’eau végétalisé – créés par la mise en eau du site, ont en effet contribué à l’installation d’écosystèmes attirant eux-mêmes de nouveaux cortèges floristiques et faunistiques qui méritent d’être préservés. L’évaluation environnementale du site dénombre plus de 250 plantes, dont quatorze espèces déterminantes des zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (Znieff). Elle ne fait cependant pas mention des cormiers (Sorbus domestica), qui font pourtant également partie des espèces déterminantes pour les Znieff, et un grand nombre d’espèces pourtant protégées et menacées ont été ignorées…
Une zone humide inscrite à l’inventaire départemental s’étend en bordure de rive au nord de la retenue. Les herbiers de potamots luisants (Potamogeton lucens) représentent probablement la plus importante population de l’espèce en Occitanie. Les tapis de nitelle (Nitella hyalina), une algue verte annuelle qui redonne vie aux fonds mis à vif lors des travaux du lac, constituent l’une des plus importantes populations françaises de l’espèce en dehors de la Camargue. Le bois de la Fajane au sud du réservoir est un vestige de la forêt plus vaste qui existait en ce lieu avant le barrage. Dans ce bois exposé au nord, on note la présence du sapin pectiné (Abies alba) et du hêtre (Fagus sylvatica), des essences rares en plaine et zone collinéenne.
La faune n’est pas en reste : au total, 129 espèces protégées fréquentent le site, dont 58 sont menacées et inscrites sur les Listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Huit espèces de chiroptères sont menacées sur les 22 présentes, dont le rare murin de Bechstein (Myotis bechsteinii). On dénombre également 9 espèces de reptiles (dont 5 menacées) ; 10 espèces d’amphibiens dont le triton marbré (Triturus marmoratus) et l’alyte accoucheur (Alytes obstetricans) respective- ment classés vulnérables et en danger sur la Liste rouge régionale ; 82 espèces d’oiseaux protégés (dont 35 menacées). Le site abrite enfin la loutre d’Europe (Lutra lutra), inscrite sur l’arrêté du 9 juillet 1999 fixant la liste des espèces de vertébrés protégées menacées d’extinction en France, qui bénéficie également d’un plan national d’action.
Des impacts minimisés
Les espaces préservés jusqu’alors seront affectés durablement par les futurs aménagements et par leur occupation touristique huit mois sur douze. Cette perte certaine de quiétude et d’habitats pour la faune sauvage conduira un certain nombre d’espèces à abandonner le site, tandis que d’autres souffriront de destructions directes (liées par exemple au débroussaillage, cause de mortalité de nombreux serpents). Réglementairement, l’on ne peut porter atteinte à ces espèces et leurs habitats sans l’obtention de dérogations délivrées par l’administration ; or aucune autorisation n’a été accordée pour le dérangement des espèces et la destruction de leurs habitats. Suite à l’obtention d’une dérogation à la règle de constructibilité limitée en juillet 2020, à une dispense de véritable étude d’impact en octobre 2020, à la révision contestée du plan local d’urbanisme en février 2021 et à la délivrance du permis de construire en août 2021, l’emménagement du lac constant est imminent. L’Agence d’attractivité de l’Ariège et de ses territoires (AAA) a sollicité Coucoo dès 2018 pour leur proposer de s’installer à Montbel ; ce projet est donc largement soutenu par les pouvoirs publics.
Les réservoirs de biodiversité sont précieux, irremplaçables et doivent être conservés, car personne ne peut plus ignorer aujourd’hui l’effondrement dramatique de la biodiversité partout dans le monde. Malgré cela, on voudrait la sacrifier ici sur l’hôtel d’une urbanisation soi-disant « écoresponsable » qui clame une intégration paysagère, des équipements basse consommation, des matériaux écologiques, des « éco-spa » sans produits chimiques et même un plan de gestion qui prétend démontrer que : « le Parc résidentiel de loisir n’a pas d’incidence sur le milieu naturel, voire même un impact positif » ! Les arguments avancés sont entre autres : « l’entretien et création de mares, une gestion forestière en faveur des chiroptères, une gestion écologique des prairies », et d’autres mesures qui n’éviteront pas la désertion des nombreuses espèces sensibles au dérangement et à la destruction ou à l’altération d’habitats d’espèces protégées. Comme le rappelait à juste titre en mai et septembre 2020 la mission régionale d’autorité environnementale : « seul l’évitement strict de tout aménagement, dans les secteurs à enjeux écologiques forts, permet de préserver les espèces et habitats d’espèces patrimoniaux. »
Le collectif « À pas de loutre » s’est donné comme objectifs d’informer la population (par le bais de rassemblements, manifestations, tracts, film, articles de presse, etc.), d’interpeller les pouvoirs publics sur l’incohérence de ce projet et de s’opposer fermement au début des travaux. Les associations environnementales ont quant à elles saisi la justice.