A propos du nouveau coronavirus, des chauves-souris aux humains, en passant peut-être par les pangolins
Comme le virus responsable du SRAS en 2003, le nouveau coronavirus apparu en Chine fin 2019 semble bien d’origine animale mais l’épidémie est devenue strictement humaine.
Deux épidémies liées à des coronavirus ont déjà fait parler d’elles au début de ce XXIe siècle. D’abord le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère, SARS en anglais), qui est peut-être mieux connu que le MERS (Middle East respiratory syndrome) qui a suivi. Le SRAS, de fin 2002 à mi-2003, parti de Chine, a touché environ 9000 personnes dont 800 ont malheureusement perdu la vie. Le MERS a débuté en 2012 en péninsule arabique et se poursuit toujours avec environ 2500 cas dont plus de 850 décès fin 2019. On en parle beaucoup moins. Ce virus n’a fait qu’une sortie hors de sa région d’origine vers la Corée du Sud où il a été maîtrisé.
Les premiers cas humains de SRAS sont liés au contact de bouchers ou de cuisiniers avec des civettes palmistes masquées (Paguma larvata) dans des restaurants du sud de la Chinea. Ni les piégeurs, ni les éleveurs, ni les consommateurs n’ont été directement touchés. Le virus s’est rapidement adapté aux humains et l’essentiel des cas correspond à des transmissions intra-humaines. Quelques malades ont été des diffuseurs extraordinaires du virus avec un schéma épidémiologique très particulier. Un médecin chinois contaminé auprès de malades est venu du Guangdong se reposer dans un hôtel de Hong-Kong. A lui seul il explique l’arrivée du virus dans divers pays. Les équipages de plusieurs compagnies d’aviation internationales y faisaient escale. Ces personnes se sont croisées dans le hall de l’hôtel, dans l’ascenseur, dans les escaliers…
Les premiers cas de MERS semblent liés à un virus présent chez les dromadaires, passé aux humains en 2012 et en Arabie sans que l’on sache pourquoi dans cette région et à ce moment. Il semble que les dromadaires hébergent le virus bien au-delà. Là aussi il existe des transmissions entre humains mais ce virus parait moins « agressif » que le précédent. La notion de contact avec des dromadaires revient dans de nombreux cas.
D’un point de vue viral il s’agit de Betacoronavirus dont les ancêtres circulent chez diverses espèces de chiroptères. Cependant, les virus responsables du SRAS et du MERS ne sont pas directement des virus de chauves-souris et n’ont pas été identifiés chez elles, même s’ils en restent proches. Ils se sont adaptés à un mammifère terrestre dans un premier temps, puis aux humains dans un deuxième temps.
Le nouveau virus, d’abord appelé « 2019-nCoV » a été renommé SARS-CoV-2 et la maladie COVID-19 (pour COronaVIrus Disease). Fin janvier 2020 on ne sait pas encore quelle espèce a contaminé les premiers humains. Cela semble s’être produit dans la ville de Wuhan au centre de la Chine, dans ou autour d’un marché aux poissons mais qui ne vendait pas que des poissons, loin s’en faut. Début février on annonce que des virus proches ont été isolés de pangolins, petits mammifères couverts d’écailles, mangeurs de fourmis et de termites, propres aux zones tropicales africaines et asiatiques. Ces animaux sont consommés depuis des décennies en Chine mais leur commerce a brutalement explosé au début du XXIe siècle. On estime qu’un million d’individus de ces espèces ont ainsi disparu durant la dernière décennie, soit près de 100.000 chaque année, alors que leur commerce international est interdit depuis 2016. Au printemps 2019, les autorités de Singapour et du Vietnam ont saisi 31 tonnes d’écailles de pangolins, ce qui représenterait d’un côté 40.000 animaux, de l’autre 90 millions de dollars américainsb. Curieusement un articlec paru fin 2019 met en évidence une série de virus sur des prélèvements faits sur des pangolins vivants saisis par les services chinois, dont des Coronavirus. Il faut cependant encore attendre pour savoir si le SARS-CoV-2 est bien passé par une « étape pangolin ».
Le marché de la ville de Wuhan évoqué plus haut accumule des dizaines d’espèces animales vivantes, domestiques et sauvages, dans des conditions de stress élevées. C’est idéal pour tester leurs sensibilités croisées, entre animaux comme vers les humains, à leurs virus, bactéries et parasites respectifs. Ces conditions ne correspondent pas du tout aux environnements naturels de ces espèces, quelles qu’elles soient. Il est difficile de calculer la probabilité de réussite de contamination croisée mais puisque cet évènement survient 17 ans après l’émergence du SRAS, ce n’est donc pas si fréquent. Pourtant, toutes les leçons de 2002-2003 n’ont peut-être pas été retenues. La Chine n’a interdit la vente d’animaux sauvages vivants que tout récemment (janvier 2020). Seule la vente des civettes était officiellement interdite depuis 2003. Le virus du SRAS et le SARS-Cov-2 semblent liés à des marchés, à des restaurants où des animaux sauvages sont vendus et dépecés.
Aujourd’hui, le nouveau virus s’est bien adapté à Homo sapiens et l’épidémie qui se développe actuellement ne parait plus avoir besoin d’une source animale. Ce sont bien des humains qui circulent et prennent l’avion avec le virus « humanisé ». Les transports aériens déplacent entre 3 et 4 milliards de passagers par an à travers la planète. Même si certains prennent l’avion plusieurs fois par an, ce qui arrive maintenant n’a rien de surprenant. L’incubation d’une maladie infectieuse correspond à la période de temps qui sépare le contact avec l’agent pathogène et le début des signes cliniques de la maladie. Dans le cas du nouveau virus, l’incubation pouvant durer quelques jours, peut-être une dizaine (la « quarantaine » est fixée à 14 jours par mesure de sécurité), elle permet à un nouveau contaminé de rester apparemment sain avant de changer de continent et de tomber malade. Les maladies infectieuses, les virus, bactéries, les parasites, n’ont pas tellement changé, c’est nous qui leur offrons la planète.
D’autres informations vont certainement combler peu à peu les interrogations encore en suspens. Dans le cas du SRAS, apparu fin 2002, probablement en novembre, l’espèce source, la civette, a été découverte en juillet 2003. Dans le cas du nouveau, on ne sait pas si cela ira plus vite, si les pangolins seront ou non confirmés, mais le risque est maintenant lié aux activités, déplacements, voyages des humains. L’enjeu est de couper la transmission du virus depuis les malades vers les personnes saines. Dans le cas du SRAS, les malades avaient des symptômes cliniques avant d’être contagieux alors que dans le cas de la grippe (Influenzavirus), c’est le contraire. Les futurs malades de grippe, en incubation et sans symptôme, sont déjà contagieux. Pour le nouveau, on ne sait pas encore. Si le schéma est celui du SRAS, les prévisions sont plus favorables que dans le schéma grippal. Il faut encore attendre.
Références
a F. Moutou (2018) Des épidémies, des animaux et des hommes. Le Pommier, Paris.
b Fauna & Flora International (www.faune-flora.org).
c Ping Liu et al. (2019) Viral Metagenomics Revealed Sendai Virus and Coronavirus Infection of Malayan Pangolins (Manis javanica). Viruses, 11, 979; doi:10.3390/v11110979