Illusions printanières
Au printemps fleurissent les stratégies, mais mieux vaut admirer les jonquilles… À la mi-mars 2022, plusieurs stratégies nationales ont été publiées par le gouvernement, en urgence à l’approche des élections, dont la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB 3 2020-2030, cf. p. 11) et le 4e plan national pour les milieux humides (4e PNMH 2022-2026).
La SNPN a joué pleinement le jeu de l’élaboration annoncée comme inclusive de ces stratégies. Elle est l’association nationale de protection de la nature qui s’est le plus investie dans les groupes de travail mis en place par le ministère et l’Office français de la biodiversité, en plus de sa participation à diverses instances nationales. Elle a fait de très nombreuses propositions, constructives et réalistes. Elle s’est opposée en séance à tous ceux qui voulaient réduire les ambitions de ces stratégies, édulcorer ou dénaturer les mesures, voire se servir de ces stratégies pour augmenter les pressions sur la nature. Comme par exemple ce haut-fonctionnaire qui voulait autoriser les activités sportives dans toutes les aires naturelles protégées en « protection forte » au motif que les restrictions « spolient les humains » (sic). Avec seulement 1,5 % du territoire métropolitain en « protection forte », on se demande bien qui prend toute la place !
Certaines de nos propositions ont été prises en compte, mais avec un résultat cosmétique. Car la seule question qui vaille d’être examinée est la suivante : ces stratégies sont-elles en mesure, à leur échéance, d’enrayer la dynamique pluriséculaire et systémique de dégradation de la nature, qui continue à s’accélérer (cf. p. 41 à 45) ? Permettront-elles par exemple de sauvegarder et de rétablir le ganga cata et la grande nacre (cf. p. 26 à 32 et 33 à 40) ? À la SNPN nous ne le pensons pas. Par manque d’ambition, par manque de moyens, par manque de portage politique interministériel et intersectoriel, et surtout par la complaisance accordée à des lobbies de toute nature qui s’efforcent de maximiser leurs intérêts corporatistes au détriment de l’intérêt général et du vivant. Dans 5 ans, dans 10 ans, même si les stratégies devaient être appliquées à la lettre, elles ne permettraient pas les changements transformateurs absolument nécessaires.
Pourtant les Français ont, eux, une pleine conscience de ces enjeux et plébiscitent les actions en ce sens : un sondage commandé par la SNPN et des associations amies le met clairement en évidence (cf. p. 15 et 16). Et c’est en cela que réside notre espoir : mettre en application sur le terrain nos valeurs, en mobilisant les citoyens et en agissant concrètement.
Parce que, deux ans après le début de la pandémie de la Covid-19, nous pensons toujours qu’un autre monde est possible, en refondant les relations entre les humains et les vivants autres qu’humains.
Rémi Luglia, président de la SNPN