La page blanche
Les jours commencent à rallonger mais l’hiver est toujours là. Nous avançons peu à peu dans la nouvelle année, quand tellement de belles choses semblent encore possibles. On peut imaginer ces mois à venir comme une campagne toujours couverte de neige poudreuse, encore immaculée. C’est idéal pour aller lire la nature sur la page blanche posée à terre.
Les activités humaines reprennent, mais patience ! Pourquoi ne pas laisser d’abord les habitants des bois et des champs parapher ce beau livre ouvert sur un nouveau cycle ? Chacun peut y laisser sa trace et y déposer ses voeux. Ce drôle de grand Y, c’est le lièvre qui l’a imprimé, là. Sa voie est assez facilement reconnaissable. Pas très loin, la piste du renard ne le concerne vraiment pas.
C’est d’ailleurs peut-être lui qui suivait le petit canidé roux. La piste régulière des petites pattes débouche soudain un curieux cratère dans la neige. Le renard a sans doute capté le bruit des activités champêtres d’un campagnol étourdi, trop sûr de lui sous le manteau neigeux. Le rongeur aurait dû se méfier davantage. Caché des yeux peut-être, mais pas des oreilles du rusé goupil. Et là-bas, près du bois, le chevreuil avance lentement en levant haut ses pattes à chaque pas, tout en humant l’air vif et froid, les oreilles en mouvement.
La renaissance printanière de la nature est proche. Souhaitons alors que nous puissions partager cette belle saison à venir, entre nous humains mais aussi avec tous ces non-humains qui nous entourent et qui partagent ces mêmes paysages : cette campagne, la forêt au-delà et la montagne encore plus loin, sans oublier la zone humide voisine et la rivière qui coule vers le rivage marin. Il n’y a pas que les mammifères bien sûr, il y a encore tous ceux qui ne savent pas écrire sur le manteau de neige, cachés en hibernation ou partis au loin en hivernage, ou alors peut-être seulement présents sous la forme d’une précieuse ponte, déposée bien à l’abri et dans laquelle repose l’espoir de la génération future.
Si nous voulons rédiger ensemble le récit à venir de la nouvelle année, de ces rencontres, de ces observations, de ces couleurs, sons et odeurs encore à imaginer pour certains, alors donnons-leur l’espace et la tranquillité dont ils ont tous besoin. Si nous protégeons la nature, ce n’est pas pour la consommer ensuite à notre guise, mais bien pour lui laisser la possibilité de continuer à écrire sa propre histoire, dans la neige et au-delà.
François Moutou, vice président de la SNPN