Courrier de la Nature n°324 septembre-octobre 2020

8.00 

Les pouvoir publics cesseront-ils enfin de transgresser les lois protégeant la nature ?

Diverses actualités conduisent à l’amère constatation que les responsables politiques au pouvoir en France recourent avec une fréquence accrue au système dérogatoire, qui depuis trop longtemps permet de vider de leur substance les lois contraignantes pour la protection de l’environnement. Les exemples sont hélas pléthoriques partout où la préservation des ressources naturelles ou de la biodiversité est concernée.

Ainsi, en introduisant la possibilité de dérogations, le projet de loi présenté le 3 septembre 2020 devant l’Assemblée nationale remet en cause le texte de 2016 interdisant les insecticides néonicotinoïdes surnommés « tueurs d’abeilles » – un qualificatif très en deçà de la réalité car ils détruisent de façon directe ou indirecte la quasi-totalité des espèces animales qui leur sont exposées. Pourtant, un corpus considérable de recherches scientifiques a démontré que les insecticides néonicotinoïdes sont à l‘origine d’une régression calamiteuse non seulement de la biodiversité mais aussi, en conséquence, de la grande variété de services écosystémiques qui lui sont associés, bien au-delà de la seule pollinisation. Ainsi, depuis le début de leur usage à vaste échelle dans la première moitié des années 1990, la biomasse d’insectes volants a baissé de plus de trois quarts. En outre, la dérogation permettant l’emploi de néonicotinoïdes sur les cultures de betteraves est d’autant plus inadmissible qu’il existe d’autres types d’insecticides qui ont permis par le passé de les protéger efficacement des pucerons incriminés.

Ce projet de loi fait ainsi table rase des très nombreux travaux de recherche qui ont mis en évidence l’impact éco-toxicologique gravissime de ces substances, et il conduit en réalité à autoriser l’attribution de dérogations au niveau national pour tous les autres néonicotinoïdes jusqu’en 2023, quelle que soit la culture concernée. Ce fait est d’autant plus scandaleux qu’il se dispense du principe de non-régression du droit de l’environnement, pourtant énoncé dans la Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et du paysage du 8 août 2016.

Nous sommes ici face à une menace globale d’ampleur comparable à celle liée à l’usage des insecticides organochlorés voici une cinquantaine d’années, avant leur interdiction. Attendra-t-on d’être confrontés à des conséquences catastrophiques de la même ampleur que celles qui résultèrent des effets perturbateurs endocriniens de ces derniers pour prendre en urgence une mesure de simple bon sens qui aurait pu l’être plus tôt et sans douleur : l’abrogation totale de l’usage des néonicotinoïdes à l’échelle mondiale ?

François Ramade,
professeur honoraire d’écologie à l‘université de Paris-Saclay, président d’honneur de la SNPN


Dans les actualités :

La politique environnementale de l’Union européenne se décline de différentes manières. Le programme Life soutient financièrement des projets d’étude et de protection des espèces et des milieux, comme le suivi des mérous à Saint-Martin. Les orientations générales en matière de conservation sont formalisées par la stratégie européenne pour la biodiversité, dont la nouvelle mouture vient d’être publiée. il en découle diverses réglementations, telle l’obligation pour les Etats membres de réaliser régulièrement une évaluation de l’état de conservation des espèces et habitats menacés. Cela suffira-t-il à enrayer les changements en cours ? L’amélioration des connaissances tout comme l’action de terrain sont plus que jamais nécessaires, à toutes les échelles : ainsi, des scientifiques tentent de modéliser le devenir des plages de sable du monde, tandis qu’une association locale lutte pour défendre une plage boisée sur le bassin d’Arcachon. 

 

Vie de la SNPN


Dossier : Les manchots face aux pêcheries et aux changements climatiques Par Michel Gauthier-Clerc

Après un déclin brutal lié à la chasse durant le XIXe siècle, les manchots ont, contrairement à beaucoup d’autres espèces animales, échappée à l’exploitation massive au XXe siècle. Néanmoins, ils subissent aujourd’hui les conséquences des activités humaines : certaines espèces sont en concurrence avec les pêcheries pour l’accès aux ressources alimentaires, tandis que les impacts des changements climatiques sur les océans contrarient leur cycle de vie.


Dossier : Sur la plage abandonnée… Les effets du confinement sur la faune et la flore du bord de mer Par Franck Delisle

Le week-end du 10 au 12 avril 2020, un grand soleil sur le littoral métropolitain accompagnait les plus grands coefficients de marée de l’année : toutes les conditions étaient réunies pour une affluence record sur les sites de pêche à pied. mais confinement oblige, les plages sont restées désertes. Une aubaine pour les mollusques, les crevettes et les crabes ; un “répit pour la nature”.


Point de vue : La culture des plantes au moyen-Âge Hildegarde de Bingen, une femme au savoir précurseur Par Joëlle Ducos, Yoan Boudes, Alice Laforêt, Laurence Moulinier-Brogi, Fleur Vigneron


L’art et la nature Selon Tsunéhiko Kuwabara et Arsène Houssaye


A lire 

Description

Ce nouveau numéro du Courrier de la Nature rappelle que les bouleversements causés par les activités humaines affectent les milieux naturels et les espèces qui les habitent, qu’il s’agisse de changements globaux, comme les modifications océaniques qui menacent la survie des populations de manchots, ou de perturbations ponctuelles, comme le prouve le répit de courte durée que la période de confinement a procuré à la faune et à la flore du bord de mer. Comment mieux comprendre ces effets et les limiter ? C’est tout l’enjeu de nombreux travaux en France et à l’international, qui sont présentés dans la rubrique « actualités ». Ce numéro propose également de faire connaissance avec Hildegarde de Bingen, abbesse et naturaliste du XIIᵉ siècle, et de découvrir des œuvres artistiques et des analyses d’ouvrages.

Informations complémentaires

Poids 160 g